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KröniK | Ophe - Litteras Ad Tristia Maestrum Solitude (2018)


Ophe arpente la terre meurtrie et convulsive d’un genre qui n’existe pas, dont la définition reste à inventer

Ophe est le projet solitaire de Bargnatt XIX, une des deux têtes de l’hydre Område et "Litteras Ad Tristia Maestrum Solitude" son premier signe de mort. L’œuvre porte, inscrite dans sa chair comme d’étranges stigmates, la signature de son maître de cérémonie dont l’artwork conçu par le fidèle Jeff Grimal (ex The Great Old Ones) n’est que la face émergée. Cette folie prolifératrice associée à une puissance visionnaire coule constamment dans les veines des créations successives dont ce musicien à l’identité tant sonore et conceptuelle affirmée, accouche dans ce qu’on imagine être une douleur cathartique.

Connaissant le talent du bonhomme, c’est donc corps et – surtout – âme que nous plongeons dans le gouffre vertigineux de cette offrande au fond de laquelle bouillonne une lave indescriptible. Si ces travaux signés à quatre mains sous la bannière d’Område , réclament de nombreuses écoutes pour être déflorées, que dire ce "Litteras Ad Tristia Maestrum Solitude" que ronge le poison d’une démence hallucinée. Ce ne sont plus de prudents préliminaires que nécessite sa pénétration mais un état d’esprit proche de l’abandon aux confins d’une transe hypnotique. Car ce n’est qu’une fois toutes les barrières mentales écroulées que l’on peut goûter l’intimité méandreuse de cet ouvrage qui se mérite, tant sa découverte est semée des nombreuses embûches que son géniteur prend un plaisir vicieux à multiplier. La forme labyrinthique de ces reptations  dont certaines voisinent avec les dix minutes, le chant proche de l’hystérie dont prétendre qu’il est possédé tient du doux euphémisme ainsi que la présence tordue d’un saxophone déglingué (‘Missive Amphibologique d’une adynamie à la solitude’) ne facilitent pas une écoute qui a des allures de plongée dans les profondeurs abyssales de fosses Marianne de la folie. Aucune beauté ni lumière même fugace, ne filtrent de ce magma grouillant. Et il faut attendre jusqu’au cinquième et dernier titre, ‘Cadent’, pour enfin respirer même si n’est qu’un calme trompeur qui suinte de ces arpèges mélancoliques et de cette voix plaintive, qui résonnent comme un ultime signe de désespoir. Il n’y a pas d’issue à cet album placé sous le sceau d’une solitude mortifère. Happés par ce maelstrom de négativité, on ne retient de prime abord pas grand-chose de cet album dont le style est difficile à cerner. Est-ce du black ? Du metal avant-gardiste ? Du rock progressif azimuté à la manière du King Crimson le plus barré ? Ou bien faut-il lui coller, faute de mieux, l’étiquette fourre-tout d'extrême metal ? En réalité, Ophe arpente la terre meurtrie et convulsive d’un genre qui n’existe pas, dont la définition reste à inventer. "Litteras Ad Tristia Maestrum Solitude" erre à travers des corridors dont chaque porte ouvre sur des peurs, des psychoses qui explosent en un geyser immersif. Si une pulsation comme ‘XVIIII’ semble mener nulle part, angle mort dans l’obscurité duquel sont tapies des silhouettes menaçantes, l’inaugural ‘Somnum Sempiternum’ souffle le chaud et le froid sur plus de huit minutes chaotiques durant lesquelles les changements de rythmes se succèdent avec fièvre. Batterie cataclysmique, nappes synthétiques hantées, saxo pollué s’accouplent en un torrent déchaîné d’atmosphères sombres et gangréneuses. Avec cet essai insaisissable, Bargnatt XIX nous convie à un cauchemar à ciel ouvert, offrant par la même son disque le plus personnel. (28/03/2018)


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