En quelques mots : Lorsque Clint Eastwood entame le tournage de Sur la route de Madison, il se trouve dans une des périodes les plus fastes de sa carrière. Les années précédentes ont vu le triomphe de Impitoyable et de Dans la ligne de mire, le premier ayant été également couvert de récompenses et en 1994, privilège suprême, il préside le festival de Cannes. Il est donc en position de force quand il décide, vingt deux ans après Breezy, de tourner une histoire d’amour, sa première en tant que comédien. De fait, le film n’est pas sans évoquer sa troisième réalisation. Tout deux racontent, certes d’une manière différente, une dernière histoire d’amour. Durant quatre (trop) petits jours, nous suivons la relation entre une femme mariée (Francesca) et un photographe solitaire venu dans l’Iowa pour prendre quelque clichés de ses célèbres ponts en bois. Le film est au départ destiné à Sydney Pollack qui pense bien sûr à son ami Robert Redford pour camper Robert Kincaid, le photographe voyageur. Puis, Steven Spielberg s’y intéresse et veut confier le rôle à Clint. Mais, épuisé par La liste de Schindler, il se retire du projet (il en reste malgré tout le producteur via Amblin, sa société). Bruce Beresford est choisi pour le remplacer, mais ses hésitations concernant l’actrice qui devra interpréter Francesca, viennent à bout de la patience de Eastwood, lequel abhorre l’indécision. Ce dernier prend donc les choses en main et décide de le mettre en scène lui-même. Après un impressionnant casting qui a vu défiler quelques unes des plus grandes comédiennes telles que Catherine Deneuve, Michelle Pfeiffer ou Jessica Lange, il opte finalement pour Meryl Streep. Adapté d’un mauvais roman à l’eau de rose ayant connu un très grand succès, Sur la route de Madison aurait facilement pu sombrer dans la banalité entre les mains d’un autre cinéaste. Au contraire, Eastwood filme cette histoire avec beaucoup de tact et de pudeur. Il opère par petites touches, évite les effets faciles et privilégie au contraire la discrétion de gestes simples, comme ce très beau moment où Francesca touche délicatement le col de la chemise de Robert tout en parlant au téléphone. En une scène d’une admirable sobriété, tout est dit. Il va sans dire que tout le film repose sur son couple vedette. Si Meryl Streep se révèle comme de bien entendu excellente et trouve probablement son meilleur rôle depuis Out Of Africa en 1986 (elle sera d’ailleurs nominée pour l’oscar), Clint démontre une sensibilité que beaucoup le pensait incapable de manifester, même si avec intelligence il s’efface derrière sa partenaire. Jamais, il ne s’est montré si humain, si émouvant, si fragile, notamment durant la plus belle et mémorable séquence du film, lorsqu’il attend sous la pluie que Francesca le rejoigne peut-être, pour partir avec lui. Mais elle ne peut quitter son mari. Quelques instants plus tard dans la voiture de son époux, la main agrippée à la poignée de la portière, elle est pourtant à deux doigts de le faire, avant d’y renoncer. Si Clint s’avère parfait dans la peau de Kincaid c’est justement parce que celui-ci lui ressemble en un certain sens et qu’il s’inscrit dans la continuité des rôles qu’il a l’habitude de jouer. Kincaid est un être solitaire, individualiste, errant à travers le monde et qui débarque dans la vie de cette fermière, avant de disparaître. Le cinéaste nourrit manifestement une affection pour ce type de héros, comme le démontrent aussi ses westerns, Pale Rider notamment. De plus, il prouve à nouveau qu’il aime les histoires mettant en scène un personnage féminin fort, à l’image de L’épreuve de force ou plus tard de Mystic River ou Million Dollar Baby, une autre histoire bouleversante construite autour d’un amour, filial celui-ci. Superbe mélodrame comme Hollywood n’en tourne guère plus aujourd’hui, Sur la route de Madisonest une œuvre teintée d’amertume qui a le bon goût de ne pas se terminer sur un happy-end qui eut été pour le moins convenu. Il s’agit d’un film sur les opportunités qu’on a pas eu. Francesca, mère au foyer et bonne épouse, n’a pas eu la vie dont elle rêvait et passe à côté du grand amour afin de rester fidèle à sa famille. Bien qu’elle soit une femme adultère, on ne peut pas lui reprocher ces quatre jours qui n’ont rien d’un moment d’égarement. Durant quelques heures, elle redécouvre la vie et ses plaisirs simples, comme se promener le soir, fumer une cigarette, s’acheter une robe ou boire une bière dans son bain. Comme dans Bronco Billyou Un monde parfait, Clint Eastwood filme l’Amérique provinciale, un monde qui semble hors du temps. Il dénonce également à nouveau l’hypocrisie et les médisances qui pourrissent les petites villes. Mais Francesca, à l’instar de Frank Harmon dans Breezy, se moque des qu’en-dira-t-on et décide de vivre cet amour passionné en toute liberté. Le cinéaste signe donc avec Sur la route de Madison un de ses films majeurs et étonne car peu le croyait capable de raconter une histoire d’amour avec autant de réussite.
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