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Wardruna | Skald (2018)



















Après avoir achevé, avec "Ragnarok", sa trilogie basée sur les runes du vieux Futhark entamée il y a dix ans avec "Gap Var Ginnunga", Wardruna revient avec une quatrième offrande baptisée "Skald". En quelques années, le projet s'est fait un nom qui a su franchir les frontières du black metal auquel son créateur, Kvitrafn (Einar Selvik), demeure associé, ancien batteur de Gorgoroth et frère d'armes de Ivar Bjornson (Enslaved) avec lequel il dirige le label By Norse Music et a gravé les albums "Skuggsjá" puis "Hugsjá". L'engouement pour les cultures anciennes et le succès de la série "Vikings" à laquelle le Norvégien a participé à l'élaboration de la bande originale expliquent l'exposition grandissante d'un projet que sa nature rituelle ne lui promettait pourtant pas vraiment au départ.

Devenu une référence, Einar multiplie désormais les conférences et les concerts en solitaire où il interprète des titres de son répertoire et des extraits de la BO de la série. Enregistré 'live', "Skald" est né de ces performances en cela qu'il cherche, dans une expression extrêmement épurée, à capter l'essence d'un art sonore de jadis, avant tout oral. L'homme y apparaît donc seul, à la manière des scaldes du Moyen-âge. Bien qu'accompagnée d'instruments anciens (lyre et harpe), la voix d'Einar est la clé de voûte d'un édifice accueillant des rites ancestraux. Il scande plus qu'il ne chante, conférant à ces pièces une dimension à la fois chamanique et solennelle. Par son dépouillement osseux, l'œuvre pourra de prime abord sembler ennuyeuse et du coup décevoir ceux qui espéraient retrouver le Wardruna puissant et massif qu'ils connaissent. Du haut de ses seize minutes a cappella, arides et hermétiques, 'Sonatorrek' surprend pour le moins et risque d'en perdre beaucoup le long de son chemin. Pourtant, "Skald" vibre d'une force émotionnelle qui balaie vite cette trompeuse impression d'ennui. Par sa noblesse et son authenticité, il touche au cœur, véritable voyage introspectif qui nous fait traverser les siècles pour nous plonger dans le folklore et les paysages de la Scandinavie médiévale. On finit par être emportés, happés par ce chant presque incantatoire comme échappé du fond des âges. Un désespoir mystique suinte de ces scansions qui confinent à une forme de transe cependant que les notes squelettiques qu'égrène la harpe étendent un décor désolé, figé dans la neige ('Ein Sat Hon Uti'). Il suffit de fermer les yeux et d'imaginer le maître des lieux, assis sur un rocher au bord d'un fjord éternel, pour se laisser guider, envoûté par ces récits dont il est nul besoin d'en comprendre le sens pour être ensorcelé. Par son irradiante beauté, sa voix perce le dôme nocturne qui recouvre un menu prisonnier d'une sombre tristesse, comme la lumière d'une pâle bougie. Dans son format dénudé, "Skald" peut décontenancer mais son pouvoir d'évocation est au moins aussi grand que celui de la trilogie "Runaljod". Ouvre-t-il, pour Wardruna, un nouveau chapitre ou n'est-il qu'une simple pause ? L'avenir, à coup sûr passionnant, nous le révélera... (05.01.19 | Music Waves)

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