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Clint Eastwood | Créance de sang (2002)


Cette vingt troisième réalisation de Clint Eastwood s’appuie sur un livre de Michael Connelly. Le maître actuel du roman noir américain fournit donc un sujet solide et passionnant, basé sur un astucieux whodunit. Cependant le scénariste Brian Helgeland (aussi responsable de celui de Mystic River l’année suivante), s’est permis quelques libertés et mieux vaut ne pas être un inconditionnel du bouquin si l’on veut apprécier ce film pourtant très réussi.
Au delà de l’intrigue narrant l’affrontement entre un ancien profiler du FBI et un tueur en série, on peut aisément relever ce qui a intéressé Clint Eastwood dans cette histoire. En effet, son personnage, Terry McCaleb (l’acteur est soit dit en passant peut-être un peu vieux pour le rôle) possède une faiblesse à la fois psychologique et physique. Ayant reçu le cœur d’une femme assassinée, un fort sentiment de culpabilité le ronge et le pousse à agir. Il s’agit d’un homme fatigué, usé, obsédé par une quête qu’il doit à tout prix accomplir. Ce sont là des traits propres à nombre de héros campés par Clint durant sa carrière. Comme plus tard l’adaptation de Dennis Lehane, Créance de sang aborde aussi la vie de ceux qui ont perdu un proche, victime de la violence, à travers celle de Graciella Rivers et de son neveu Raymond privé de sa mère abattue afin d’assouvir la folie d’un psychopathe. La mort gangrène le film ne serait-ce déjà que par le personnage de McCaleb, véritable mort en sursis, à l’image de cette profonde cicatrice traversant son torse. Eastwood porte le thème de son vieillissement, déjà à l’œuvre dans quelques uns de ses derniers projets, à un point de quasi non-retour. Il va jusqu’à mettre en scène sa propre mort dans deux scènes terrifiantes, au début au moment de la traque du tueur et lors d’un cauchemar filmé à la façon des négatifs d’une photographie. Ce polar mortuaire annonce ainsi Mystic River et Million Dollar Baby, deux œuvres tragiques et funéraires d’une noirceur abyssale. Défendue par une poignée d’acteurs impeccables, de Angelica Huston (dont Clint a joué le père dans Chasseur blanc, cœur noir) à Wanda De Jesus, de Jeff Daniels dans un contre-emploi inquiétant, ce qu’il avait déjà fait dans l’hallucinant Insomnies de Michael Walker à Paul Rodriguez, Créance de sang bénéficie en outre de la mise en scène élégante du Maître. Totalement à contre courant par rapport aux réalisateurs actuels nourris aux clips et à la pub, Eastwood prend son temps pour raconter cette histoire. Il imprime au film un rythme lent mais qui sait toujours se faire efficace quand il le faut, notamment durant l’affrontement final, glauque à souhait, dans l’épave rouillée d’un vieux navire. Présenté au festival de Venise, Créance de sang n’a pas convaincu le public lors de sa sortie en salles. Cet échec a fait prendre conscience à Clint Eastwood que le temps des films policiers était peut-être pour lui révolu. Ses fans ne désirent plus le voir, à 70 ans passés, traquer des criminels comme au bon vieux temps de L’inspecteur Harry. Le cinéaste décide donc de mettre un terme à sa carrière d’acteur et de privilégier les projets qui lui tiennent à cœur. L’alternance de films commerciaux et de films ambitieux et personnels, stratégie qui prévalait depuis les années 70, prend donc fin avec Créance de sang...




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