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Drudkh | A Furrow Cut Short (2015)


On a beau aimer Roman Saenko, le trouver talentueux et le suivre depuis une bonne quinzaine d'années, il est cependant de bon ton aujourd'hui de reconnaître l'incontestable érosion de sa créativité. Entre un Hate Forest jamais remplacé, un Dark Ages, son jardin secret dark ambient aussi méconnu que gigantesque, désormais dans la fosse, et une multitude de projets à l'avenir incertain (Rattenfänger, Precambrian) ou déjà enterrés à l'image du sous-estimé Old Silver Key, la direction que prend la carrière de l'Ukrainien parait confirmer ce déclin sinon cette aura disparue, celle qui nappait jadis les premières offrandes de Drudkh qu'il n'est plus jamais vraiment parvenu à capter de nouveau, au moins depuis "Microcosmos", quand bien même "Handful Of Stars", par exemple, égrenait encore et à sa manière sinistre un feeling désespéré à souhait. Mais, si chaque nouvel opus de l'un de ses groupes laisse tout d'abord une impression positive, force est pourtant d'admettre que le temps leur est souvent fatal. Que retenir en effet de "Dark Star On The Right Horn Of The Crescent Moon" de Blood Of Kingu ou de "Eternal Turn Of The Wheel" de Drudkh justement ? Un sort identique sera-t-il réservé à "A Furrow Cut Short" ? Les nombreuses heures passées à l'écouter nous laisse pourtant penser qu'il a le potentiel pour bien vieillir, pour imprimer son empreinte dans un sol ensanglanté. Non pas que Saenko ait réussi à raviver la flamme mélancolique qui brûlait dans le cœur de "Forgotten Legends" mais avec ce dixième album (déjà !) sous la bannière de ce black atmosphérique maintes fois copié et néanmoins rarement égalé, il tend (enfin) à faire progresser son art, à briser certains automatismes, quoique sa signature reste reconnaissable entre mille, surtout depuis que son line-up s'est stabilisé autour de l'inébranlable duo qu'il forme avec le fidèle Thurios. Premier constat, le groupe a abandonné les intros, outros et interludes de rigueur pour ne coucher sur bandes que de vrais titres qui, pour la plupart, gravitent autour des dix minutes au compteur, format toutefois habituel pour nos Ukrainiens. Deuxième constat, ceux-ci semblent avoir trouvé l'équilibre juste entre d'un côté une noirceur froide et haineuse, que le chant rageur incarne parfaitement, et de l'autre cette lancinante mélancolie, cet éclat atmosphérique qui ont fait leur réputation. Troisième et dernier constat, les nappes de claviers se font cette fois-ci plus discrètes, ce qui est (forcément) une bonne nouvelle. Il en résulte un album certes dans la lignée de "Eternal Turn Of The Wheel", pour le son et une certaine âpreté notamment, cependant plus proche de "Blood In Our Wells" que de "Handful Of Stars". L'œuvre marque surtout le retour des grandes compositions, celles qui creusent de profonds stigmates dans la mémoire et feront date à coup sûr. Tel est le cas dès le premier diptyque de l'album, 'Cursed Sons', lequel traduit toute cette ambivalence, conjuguant férocité tranchante et envolées envoûtantes. Rapide bien que fissuré dans sa seconde partie par des breaks aussi superbes que lancinants pendant lesquels la basse sonne avec une rondeur tellurique, 'To The Epoch Of Unbowed Poets' se révèle du même tonneau. Plus lent, 'Embers' ouvre de vastes et épiques paysages tandis que le second segment de 'Dishonour', en plongeant dans le passé, nous rappelle quel grand groupe demeure toujours Drudkh même si la magie de l'époque "Forgotten Legends" et "Autumn Aurora" s'est définitivement envolée, ce que l'on a depuis longtemps compris... (2015)


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