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Clint Eastwood | Le cas Richard Jewell (2019)
























Son ton crépusculaire a pu laisser croire que La mule incarnerait le testament de Clint Eastwood. C'est mal connaître le vieux maître que seule la mort arrachera à son métier de cinéaste.

Un an tout juste après être sorti de sa retraite d'acteur, le voilà qui présente déjà un nouveau long  métrage. Sorti en fin d'année, il est évident que la Warner Bros nourrissait de grandes ambitions commerciales (avec les Oscars en ligne de mire) pour ce film dont le sujet végétait depuis longtemps dans les tiroirs, lequel devait initialement être confié à Paul Greengrass avec Leonardo Di Caprio et Jonah Hill. Le résultat en eut été certainement très différent et peut-être que le succès aurait été au rendez-vous, contrairement à la copie que Clint a rendue dont un gros échec dans les salles américaines a grevé les chances de rafler de précieux prix. Il se dit même qu'il s'agirait de son plus mauvais démarrage depuis Bronco Billy en 1980 ! Pourtant, inspiré d'une histoire vraie, Le cas Richard Jewell creuse le même sillon que ses plus récentes sorties, poussant d'ailleurs certains à le réduire à une rumination rance et patriotique de plus. En réalité, on peut chercher longtemps une quelconque trace de patriotisme voire de trumpisme (comme d'autres ont cru en déceler) dans ce métrage qui ne glorifie en rien l'héroïsme. C'est même plutôt le contraire que Eastwood cherche à faire, auscultant les faiblesses et les ombres de l'Amérique contemporaine dont les (anti)héros qu'elle fabrique ne sont que des hommes brisés. En cela, par sa foi aveugle dans les institutions de son pays, Richard Jewell se veut plus proche de Chris Kyle que de Sully dont le procès qui lui a été intenté semblerait le rapprocher de ce modeste agent de sécurité injustement accusé d'être un poseur de bombes. Dans sa charge contre les médias et le F.B.I. ( et donc à travers lui, le gouvernement), Clint renoue avec la fibre humaniste d'un Capra. Il y a beaucoup de monsieur Smith dans Jewell qui partage avec le sénateur novice interprété par James Stewart  une même naïveté voire une même candeur un peu niaise. C'est l'éternel combat du faible contre les puissants qui a intéressé le réalisateur et la manière dont un homme honnête peut se retrouver broyé par le système, héros d'un jour avant d'être jeté en pâture à la meute médiatique, plus que la résolution de l'enquête et l'identité du terroriste. Clint a toujours affectionné les héros fragiles que l'on songe à Ben Shockley, le flic tocard de L'épreuve de force, à Red Stovall, le musicien tuberculeux de Honkytonk Man ou à William Munny, le tueur alcoolique d'Impitoyable. Malgré une Olivia Wilde qui force trop le trait et dont on ne croit absolument pas aux regrets de son personnage, le film témoigne encore une fois de la maîtrise de Clint Eastwood, tant en terme de narration que de direction - et de choix - d'acteurs. Faussement simple, sa réalisation se révèle bien plus élaborée qu'il n'y parait aussi bien dans la forme que dans le fond. Dans la forme d'une part, l'épure de sa mise en scène cache en réalité un souci constant de fluidité (la façon dont il enlace la reconstitution de l'hypothétique trajet de Jewell jusqu'à la cabine téléphonique et le sprint de Michael Johnson)  et un travail remarquable sur la lumière (la scène dans le bar entre Kathy Scruggs et Tom Shaw, la maison dans laquelle les principaux protagonistes se retranchent comme lors d'un siège, formant un groupe très hawksien). Il faut à ce titre saluer le boulot assuré par Yves Bélanger dont on espère  qu'il continuera, après La mule et celui-ci, à collaborer avec le maître. Dans le fond d'autre part, il brosse le portrait en rien hagiographique d'un homme complexe, malicieux et encombrant dont le physique et les relations qu'il entretient avec sa mère protectrice, font de  lui tout le contraire d'un "héros", au sens médiatique du terme. La grande force du film - mais sans doute aussi sa faiblesse - tient à sa capacité à tenir en haleine alors qu'il n'a presque rien à raconter. Eastwood se concentre donc sur ses personnages. Il les aime et les comédiens qu'il a (judicieusement) choisis pour les camper, aussi. Il les filme à hauteur d'homme, obtenant d'eux le meilleur, de Kathy Bates, juste et bouleversante dans la peau de la maman de Jewell au formidable duo de cinéma que composent Sam Rockwell en avocat miteux et le méconnu Paul Walter Hauser qui demeure la grande découverte du film. Oeuvre plus libertarienne que frontalement de droite, Le cas Richard Jewell dont le titre d'origine colle davantage à son rythme tranquille, est bien, comme le claironne l'affiche, un bon crû eastwoodien, fascinant et émouvant. (vu le 25.02.2020)



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