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KröniK | Sierra - 72 (2016)


Il y a déjà ce visuel, très beau, où un visage de femme semble se démultiplier à l'infini, séduisante invite à pénétrer un contenu qu'on imagine riche de multiples teintes. Il y a ensuite ce titre, « 72 », énigmatique. Est-ce seulement une façon de planter un décor, révélateur d'un rock peut-être nourris aux grains des années 70, ce que suggèrent les atours psychédéliques de son écrin ? Ou bien cette date fait-elle référence à un événement particulier ? Il y a enfin cette architecture basée sur une seule piste longue de 23 minutes qui achève d'intriguer. En réalité, plusieurs parties segmentent ce titre fleuve, dont le nom de chacune d'entre elles, 'Prologue', 'Dead or Dreaming' etc..., trahit sa nature conceptuelle. De fait, ce EP épouse la trame d'un récit rythmé par sept chapitres distincts, et qui conte le meurtre d'une jeune fille âgée de 16 ans par un groupe de d'hommes, histoire vraie que le petit ami de la victime, alors injustement accusé à tort, a raconté à l'un des deux membres du groupe. Ce drame détermine à la fois la forme sinueuse de cette composition que remplissent de multiples aplats et les couleurs progressives que le duo américain a injecté à son stoner doom. A son écoute, on mesure le chemin parcouru par Sierra depuis ses balbutiements en 2013, peaufinant un art qui a non seulement gagné en maturité mais surtout en profondeur et en richesse. Il résulte de cette évolution un opus dont la (trop) courte durée ne signifie pas qu'il soit une œuvre mineure, bien au contraire. Mélange de sonorités plombées et d'arabesques que ne renieraient pas le Opeth contemporain, « 72 » brille d'un éclat épique et réussit la gageure de ne jamais lasser, ses deux auteurs ne se prenant les pieds dans le maillage étiré  qu'il tricote avec une maestria qui laisse rêveur. Si le chant du guitariste Jason Taylor est très loin de faire de la figuration, narrateur de cette tragédie qui peu à peu se noue, c'est avant tout le travail instrumental qui impressionne. Trempant ses pinceaux dans une palette aux couleurs prog, cette pièce est irriguée par de superbes lignes de guitares dont la virtuosité ne les exonère pas de sombres sentiments qui suintent de cette partition à la fois limpide et vallonnée. Avec une belle fluidité, les différents chapitres s'emboîtent, cimentées par ces riffs tour à tour acérés ou plus atmosphériques, qui nous plongent dans les méandres crépusculaires de ce récit tourmenté. Envolées progressives, effluves psyché et vibrations stoner se chevauchent pour un résultat étonnant qui propulse Sierra vers des sommets dont on ne le croyait pas capable. 3,5/5 (2016)


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