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KröniK | Sophia - Unclean (2016)


Disparu des écrans-radar depuis 2003 et "Deconstruction Of The World", trop long silence seulement interrompu par "The Collective Works", somme exhaustive de ses expérimentations successives, on croyait Sophia enterré même si sa mort n'avait jamais été officiellement annoncée. Mais Peter Bjärgö, celui qui en incarne l'âme incontestable, semblait, ces dernières années, plus intéressé par d'autres projets, prêchant (toujours) la bonne parole d'une musique sombre, quitte  à se disperser entre Arcana, son principal port d'attache, Karjalan Sissit, le nouveau venu Onus, sans compter les deux échappées sous propre nom ("A Wave Of Bitterness" et "The Architecture Of Melancoly"). C'est d'ailleurs peu dire que la carrière du Suédois s'avère des plus difficiles à suivre, à cerner, l'homme n'étant (plus) jamais là où on l'attend. La résurrection de Sophia confirme ce sentiment. Surgit de nulle part, "Unclean" est donc là. Celui-ci est de ces albums peu aisés à évoquer. La crainte de ne pas parvenir à en capter l'essence, à en restituer la richesse, tenaille une plume qui semble sans vie face à un tel monument de peur et de mort. Faussement abordable, comparé à ses devanciers, ce cinquième opus ne dévoile pas son oppressante intimité dès les premières pénétrations. Agrégat tendu de courtes pistes, certaines ne dépassant même pas la minute au compteur, sa défloration peut ainsi tout d'abord décevoir, laisser un sentiment d'inachevé, auquel succède pourtant très vite une impression de malaise, de terreur. D'une froideur martiale, l'oeuvre finit par déranger, libérant une puissance crépusculaire qui se répand comme les secousses menaçantes déclenchées par une armée sur le sentier de la guerre. "Unclean" évoque des paysages d'apocalypse, de ruines, peinture d'un monde parvenu au bord du chaos, qui s'effondre dans un fracas de sonorités mortifères. Magma inquiétant de percussions autoritaires, de cendres ambient et de samples bruitistes au souffle lugubre, ces pulsations vibrent d'une force obscure dont les lignes vocales, féminines parfois (celles de Cecilia Bjârgö),  terrifiantes toujours, cri possédés qui semblent s'échapper d'un asile, loin d'en altérer la portée, participent au contraire d'une noirceur nihiliste, de laquelle suintent pourtant une beauté trouble, un envoûtement morbide et masochiste. Ecouter "Unclean" revient à affronter une réalité sans fard, celle d'une humanité gangrenée par la folie. S'il marque le retour inespéré de Sophia, il apparaît cependant, de par sa dimension définitive et prophétique, davantage annoncer sa fin tant on imagine mal comment ses auteurs pourraient lui offrir un successeur. Rien ne peut surgir après cet opus destructeur aux allures de point final, probable testament d'une entité plus que jamais seule et visionnaire. (2016)


                                   

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