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Interview | Yuck



Entretien réalisé par mail le 28 octobre 2009.

Pourquoi avoir choisi de vous baptiser Yuck ? Qu'est que cela signifie ?
"Yuck" est une onomatopée que l'on peut traduire par "beurk". Jérémie a trouvé ce nom qui collait vraiment à l'esprit du groupe, au début beaucoup plus grunge-punk que metal.
Ce mot nous plaisait doublement car il exprimait deux points de vue : le notre, faire cette musique était notre façon d'exprimer le dégoût que nous inspirait la société (nous étions jeunes) et celui du public lorsqu'il avait le malheur de nous entendre. Aujourd'hui, nous sommes contents d'avoir conservé ce nom qui reste très efficace et pas trop connoté musicalement ou idéologiquement, il laisse des portes ouvertes.

Qu'aviez-vous en tête lors que vous avez décidé de monter le groupe et pouvez revenir rapidement sur vos premières années ?
A l'origine, la fondation de Yuck tient à la volonté de Jérémie et Julien de faire de la musique, ou plutôt dans un premier temps du bruit, ensemble. Cette rencontre date d'une dizaine d'années environ, Jérémie avait 18 ans et Julien 15 ans et officiaient alors tous les deux aux guitares et aux voix. Un batteur et un bassiste ont très vite été trouvés, le premier batteur a très vite été changé et le but du quatuor était alors de trouver des occasions de faire du rock'n'roll : répèt au local, répèt-concert en appart chez les potes, répèt acoustique dans la forêt... bref, le genre de conneries que font des ados lorsqu'on leur met des instrus dans les mains.
De cette époque teintée d'insouciance datent quelques K7 enregistrées live au local, premiers témoins de l'existance de Yuck. L'âge, la maturité et l'acquisition de matériel d'amplification dépassant les 15 watts aidant, le groupe a gagné en sérieux, a recruté Sebb à la batterie, a connu de très nombreuses galères et péripéties, a recruté Stéphane à la basse, et ce line-up stabilisé, Yuck a enfin pu passer aux choses sérieuses et enregistrer son premier album.





Mettre un nom sur votre musique tient de la gageure ! Mais vous, comment la définiriez-vous 
C'est une gageure en effet et ceci est votre tâche à vous, chroniqueurs, alors démerdez-vous ! Nous nous sommes souvent posé la question avant d'arrêter de nous la poser... Récemment, dans une chronique de l'album plutôt négative et plutôt mal écrite, le chroniqueur dont nous tairons l'abominable nom reprochait à notre style son manque d'unité, le fait qu'on ne puisse pas mettre un nom dessus, son côté "patchwork". Nous nous sommes dit : "ben voilà, c'est ça le style du groupe, c'est un patchwork musical empruntant au black, au thrash, au grunge...". Comment définiriez-vous le style de Led Zeppelin, où se côtoient "Immigrant Song", "Gallows Pole", "Kashmir"... ? Comment définiriez-vous le style de Faith No More ? De Mastodon ? Nous ne nous comparons pas à ces géants, mais nous ne pensons pas que pratiquer un style difficile à définir soit un défaut.

Je trouve que ce que vous faites dépasse les frontières, les cadres pré-établis ... C'est intentionnel ou bien Yuck est-il juste le terreau vous permettant de faire tout ce qui vous passe par la tête ?
Merci, c'est le genre de remarque qui nous touche et nous interpelle. Cette démarche n'est pas vraiment intentionnelle : nous ne nous disons pas en permanence "brisons les cadres et les frontières", premièrement parce que ce serait un peu prétentieux et deuxièmement parce que ce serait un peu ardu à mettre en pratique systématiquement. Disons que ce qui est intentionnel, c'est de faire ce qu'on veut tout en privilégiant une cohésion d'ensemble : notre propos n'est pas de faire du collage riff black-riff funk-riff doom mais d'essayer de détourner les codes inhérents à différents styles et de se les réapproprier pour faire quelque chose de différent.





Parlons-un peu de Do It Yourself. Alors, "que faut-il faire soit même" ?
Ce titre part d'une photo que Stéphane a pris dans une abbaye normande d'une statue représentant un homme se tranchant la gorge. L'idée était d'utiliser cette image d'auto-mutilation pour l'artwork en y accolant la mention "Do It Yourself". Nous rendions ainsi hommage au vieux précepte punk tout en le détournant d'une façon un peu glauque. L'enregistrement s'est déroulé également d'une façon un peu DIY : très sérieusement mais en investissant des lieux qui à la base ne sont pas vraiment des studios d'enregistrement.
Enfin le choix de sortir ce disque chez Post Ghost reste dans cette lignée : le cd est pressé industriellement mais tout le reste est réalisé par nos soins. C'est pourquoi nous avons essayé de proposer un packaging un peu original : la cover est imprimée sur un sticker format pochette cd, elle est reprise sur un poster. Un autre sticker plus petit représentant la fameuse statue est également inséré. Enfin, la mention "Do It Yourself" apparaît sur un bandeau collé directement sur le boîtier. En gros, le message c'est "faites-le vous même pour le faire mieux".

L'album donne une impression d'hétérogénéité, trompeuse je trouve car il y a tout du long une vraie cohérence, musicale, visuelle, thématique ...
Merci beaucoup. Comme nous le disions précédemment, nous essayons de ne pas faire du collage hasardeux d'éléments hétéroclites. La prod intelligente de Post Ghost est certainement pour beaucoup dans la cohérence musicale. Elle fournit un cadre à notre musique tout en se modelant légèrement pour mettre en valeur chaque idée, chaque ambiance. Pour le reste, nous préférons ne pas trop nous auto-analyser car ce serait un peu prétentieux et nous n'avons pas le recul nécessaire à cet exercice.





Comment s'est déroulée sa création ?
Comme le dit le proverbe "on a toute sa vie pour composer son premier album, et quelques mois pour les suivants". Effectivement, sur notre album se côtoient des chansons vieilles de quelques années et d'autres qui ont été composées quelques mois avant l'enregistrement. Comme nous n'étions pas pressés, nous avons attendu d'avoir une track list qui nous satisfaisait pleinement avant d'entrer en studio. Globalement, la création d'un titre de Yuck se déroule comme suit : Julien réalise une maquette avec guitare, boîte à rythme et chant témoin qu'il soumet au groupe. Le titre est travaillé, arrangé, testé en concert pour tendre vers la forme qu'il prendra lors de son enregistrement.

Vous avez enregistré au studio Postghost recordings où travaillait en même temps que vous Fatum Elisum...
Les gars de Fatum avaient fini leurs prises et en étaient au mixage lorsque nous avons commencé, et entendre le son que Julien Bous de Post Ghost était en train de leur sculpter nous a bien motivé. La collaboration avec l'entité bicéphale Post Ghost (Julien et Romain), a été une réussite tant sur le plan musical qu'humain. Mixer notre album n'a pas dû être chose aisée et là où certains ingé son auraient travaillé un seul son pour l'appliquer à tout l'album, Julien Bous a choisi la complexité d'une prod malléable qui s'adapte aux changements de styles. C'est un sonorisateur qui a reçu une solide formation et qui enregistre aussi bien des chorales que des trios de jazz que des groupes d'impro ou de metal, tout en cherchant perpétuellement le réglage, le placement de micro qui fera la différence.

Vous préférez l'anglais mais pourquoi le recours au latin avec "Nunc Umbra, Mox Gloria" ?
Le latin possède ce côté solennel et intemporel qui sonne bien dans une chanson. Et puis utiliser des extraits de psaumes pour stigmatiser les fanatismes religieux (comme dans Ab Irato), c'est tentant. Pour "Nunc Umbra, Mox Gloria", c'est l'extrait de la célèbre séquence grégorienne Dies Irae qui est utilisée, et pour le coup ces paroles semblent bien adaptée à une chanson metal. En voici la traduction : Jour de colère que ce jour-là, qui réduira le monde en cendres. La Mort et la Nature seront stupéfaites quand surgira la Créature. Vient ensuite la maxime latine : Maintenant l'ombre, bientôt la gloire.





Un mot sur la pochette ?
Elle a été réalisée par G., artiste qui nous a séduits et qui a fait un travail remarquable. Nous lui avons simplement soumis le titre, le concept et la photo de la statue, nous lui avons envoyé un cd puis lui avons laissé carte blanche. Le résultat est bien au-dessus de nos attentes, et nous n'avons eu que des retours extrêmement positifs à ce sujet. Nous adorons le côté artisanal de son esthétique, artisanal dans le sens de réalisé avec métier et savoir-faire. Une esthétique bien loin de celle des Picasso du Photoshop coupables d'environ 98,54% des covers metal françaises. Notre musique est organique et viscérale, nous avions besoin d'un artwork qui le soit aussi. Nous ne pouvons que vous encourager à visiter le blog et la page MySpace de G. pour admirer son travail et lui passer vos commandes.

Les retours concernant Do It Yourself me semblent bons, n'est-ce pas ?
Globalement, le retour webzine est très bon, nous n'avons eu que deux chroniques mitigées. Ce qui nous dérange un peu dans les webzines, c'est le manque de sérieux et la suffisance de certains chroniqueurs. Enregistrer un album est un projet très coûteux en terme de temps et d'argent, faire de la promo l'est tout autant. Alors quand on lit une chronique de 10 lignes où le lecteur n'apprend rien et où on ressent que le chroniqueur n'a écouté le cd promo que deux fois alors qu'il l'a reçu depuis 6 mois, ça vexe un peu. Et c'est tout aussi valable pour des chroniques négatives que positives.
Pour l'anecdote, un chroniqueur n'avait tellement pas pris le temps d'écouter le cd qu'il parle tout au long de sa chronique d'un maxi 5 titres... Les retours qui nous touchent vraiment sont évidemment les bonnes chroniques écrites par des mains aguerries, mais surtout les retours du public qui nous découvre via l'écoute de l'album ou de nos concerts. Certaines personnes qui on vraiment accroché à Do It Yourself se débrouillent même pour nous trouver des dates et nous programmer sur des radios locales, ces gestes nous touchent et nous en sommes très reconnaissants.

Vu de l'extérieur, la scène metal (ou pas d'ailleurs) de Rouen a tout d'un vivier de talents (Ataraxie, Wormfood, Yuck bien sûr...) ...
Nous préférons le "ou pas" car la scène rouennaise est très riche musicalement en matière de rock, metal, musiques improvisées et expérimentales, et nous sommes convaincus que séparer ces scènes est une erreur. Les gars de Post Ghost ont d'ailleurs fait un travail remarquable en sortant une double compil live d'une grande qualité sonore regroupant 25 groupes d'horizons différents s'étant produits lors des "Post Ghost Parties" (c'est le nom de la compil). D'ailleurs, depuis la sortie de notre album, nous recevons presque plus de propositions de concerts de la part de groupes rock que de metal, et nous sommes ravis de jouer dans d'autres conditions, pour d'autres publics.
Un événement qui nous a marqué cette année a été notre participation au Festival de la Brouette, en plein air, qui regroupait des groupes de ska, de rock, d'électro, de metal, des fanfares, des musiques de l'est... Les programmateurs avaient pris un réel risque mais ça a fonctionné, et c'est beaucoup moins chiant que de se farcir 8 groupes de Brutal Death dans la même soirée.
Concernant la scène metal de Rouen, son grand atout est d'être éclectique, et de proposer au moins un groupe qui tourne et/ou enregistre des disques par sous-genre : Ataraxie et Fatum Elisum que tu as déjà cité pour le doom, Prön Flavurdïk qui pratique une sorte de drone doom experimental et psychédélique, Hyadningar pour le black, Warkult pour le thrash, DCA pour le death, As We Bleed pour le hardcore... Ecoutez également Extreme Cherokee, projet metalo-punk de musiciens issus de la scène rock noise de Rouen et qui enterre largement en puissance, en violence et en folie la plupart des groupes metal. Le groupe n'existe plus mais il a sorti un album "Cocktail Cobra" tout bonnement excellent.





Et Yuck en concert, qu'est-ce que ça donne ?
Viens nous voir et tu verras ! Nous prenons à chaque fois notre pied à jouer, quels que soient l'endroit et le nombre de spectateurs et nous essayons toujours de nous donner à fond. Nous avons connu tous les plans loose possibles donc nous sommes blindés et ne serons jamais blasés de jouer en live. Nous espérons juste pouvoir nous produire plus souvent en dehors de notre région car nous devons aller chercher le public pour diffuser notre musique, et a priori nos prestations en concert renvoient plutôt une image positive du groupe. Nous abordons les concerts dans un état d'esprit très rock'n'roll : on branche et on envoie ce qu'on a, c'est intense et sincère.

Question banale pour terminer : quels sont vos projets ?
Des concerts, le plus possible mais ce n'est pas toujours simple, et nous travaillons dur à la réalisation de notre deuxième album. Cinq titres sont composés, nous les testons en concerts et pour l'instant c'est plutôt concluant. Nous parlons de plus en plus souvent d'une tournée, difficile à réaliser cette année pour diverses raisons logistiques, mais nous espérons bien en monter une pour la sortie du deuxième album. Merci à toi pour ton soutien, et ton talent de chroniqueur et de photographe, et on espère te croiser lors d'un passage à Paris !

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